De plus en plus de ressources « toutes faites » inondent le marché du FLE. Manuels, exerciseurs, boîtes de jeux ou fiches de vocabulaire prétendent faciliter l’enseignement... mais pour qui, au juste ? Ce que nous croyons acheter pour aider nos élèves est souvent un palliatif à notre propre manque de temps ou de confiance. Résultat : des cours uniformisés, des élèves désengagés et un apprentissage déconnecté des finalités éducatives.
La prolifération du matériel tout prêt
Dans le commerce comme en ligne, on voit pulluler des ressources estampillées « FLE » : vocabulaires thématiques, grammaires visuelles, fiches lexicales, petits jeux colorés, exerciseurs... L’offre est pléthorique, souvent attractive, parfois même gratuite. Et l’enseignant y trouve ce qu’il croit être une solution immédiate : du contenu clé en main, prêt à être comme « déroulé » en classe.
Nombreuses sont aussi les applications dites d’« apprentissage des langues », qui, sous prétexte d’interactivité, réduisent l’apprentissage à des séries de clics ou de devinettes sur du vocabulaire hors contexte. Ces interfaces séduisantes, qui misent sur la répétition et le jeu, donnent l’illusion du progrès sans réelle construction de compétence. Elles renforcent l’idée qu’apprendre une langue, c’est accumuler des mots ou cocher des cases, loin de toute action langagière authentique.
Cette profusion de matériels « innovants » [1] cache un danger : celui d’une pédagogie standardisée, décontextualisée. Ces matériels, aussi bien conçus soient-il, finissent par générer des séquences qui se ressemblent toutes, où une même logique s’impose : transmission de règles, reproduction d’exemples [2], vérification de compétences partielles, isolées.
Le malaise d’un enseignement figé
Les séances de FLE tendent alors à s’uniformiser. Les élèves rencontrent les mêmes exercices, les mêmes images, les mêmes activités, quel que soit le niveau, le contexte ou les objectifs. L’apprentissage devient prévisible, fade, et surtout, inefficace au regard de ce qu’on attend aujourd’hui d’une langue étrangère : une capacité à agir, à interagir, à réfléchir en langue.
Cette mécanisation de l’enseignement est d’autant plus regrettable que les approches actionnelles, pourtant promues par les programmes et le CECR, exigent du sens, de la personnalisation, de l’ancrage dans le réel. Or, que peut-on rêver de plus loin du réel que ces jeux où l’on découvre, par exemple, le lexique des ustensiles de cuisine pour la vingtième fois ?
Une difficulté bien réelle chez les enseignants
Il serait injuste de blâmer les enseignants. Leur réalité, on la connaît : manque de temps, classes nombreuses, hétérogènes [3], exigences institutionnelles lourdes, solitude pédagogique. Dans ce contexte, les matériels tout faits apparaissent effectivement comme un recours pratique, voire salvateur.
Mais le danger surgit quand ces outils deviennent le cœur de la séance, son moteur, son horizon. Quand la fiche d’activité précède le projet pédagogique. Quand le manuel devient le programme [4]. C’est alors que l’enseignement perd son cap et que les élèves perdent le sens.
Créer au lieu d’acheter
Or, jamais il n’a été aussi facile de créer du matériel. Et de le faire bien. Les outils propulsés par l’IA, les générateurs d’activités, les plateformes collaboratives permettent de produire sur mesure, au coup par coup, en lien avec les intérêts des élèves, les enjeux de la classe, les contextes culturels.
Mieux encore : les élèves eux-mêmes peuvent être mis à contribution. Ils peuvent co-construire une grammaire explicite, alimenter un glossaire, créer une base de données [5], inventer des jeux, organiser de véritables concours, linguistiques ou autres, interagir avec des classes francophones. En créant, avec ou sans l’IA, ils s’approprient au lieu de juste retenir.
Repolitiser le geste pédagogique
Si enseigner, c’est bien préparer nos élèves [6] à l’autonomie, à la coopération, à l’initiative, alors il faut repenser le rapport aux ressources. Non plus importer des artefacts [7] figés, décontextualisés, vendus comme des recettes. Mais introduire les outils (voir infra) de création eux-mêmes, inviter les apprenants à devenir les auteurs de leur parcours.
La salle de classe n’a pas besoin de plus de cartes à colorier. Elle a besoin de sens, de projets, de défis. Elle a besoin d’enseignants (et d’apprenants) créateurs, pas d’exécutants [8].
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[1] … ou présentés comme tels, du moins.
[2] … le plus souvent, de stéréotypes !
[3] L’hétérogénéité d’une classe serait une bénédiction dans le cadre d’une approche pédagogique plus moderne.
[4] Un manuel peut être considéré par certains comme une bonne chose en soi, mais il ne doit pas devenir l’âme du cours
[5] Par exemple, un wiki organisant des situations rencontrées (malentendus culturels, défis linguistiques, expressions idiomatiques), des artefacts produits.
[6] … et nous-mêmes, dans l’élan !
[7] Un artefact, ici, désigne un support d’enseignement artificiel, figé, souvent créé hors contexte, qui mime une situation réelle sans y plonger réellement l’apprenant.
[8] Les premiers s(er)ont souvent plus heureux, plus épanouis, que les derniers.
Des outils que les élèves peuvent utiliser pour créer
Des outils simples que nos apprenants peuvent utiliser pour créer, s’exprimer, produire :
– Canva : pour créer des affiches, des cartes, des BD, des infographies
– LearningApps : pour concevoir leurs propres mini-jeux à faire tester aux autres
– Vocaroo / SpeakPipe : pour enregistrer un message, une histoire, une interview
– Flippity : pour générer des quiz ou des jeux à partir de leur propre vocabulaire
– Padlet : pour construire un mur d’expressions, de photos commentées ou d’anecdotes en français
– ChatGPT (avec guidage) : pour reformuler, écrire, compléter ou enrichir un texte produit en classe
Et si nos élèves créaient le support... plutôt que de l’utiliser simplement ?
En résumé
Les ressources toutes faites envahissent les classes de FLE, promettant gain de temps et facilité. Mais en déléguant l’essentiel à ces outils, les enseignants risquent d’appauvrir leurs cours et de désengager leurs élèves. Et si la solution était ailleurs ? Créer ses propres supports, s’appuyer sur l’IA, inviter les apprenants à produire eux-mêmes leurs ressources : autant de pistes pour redonner du sens à l’enseignement du FLE, et renouer avec une pédagogie vivante, ancrée dans l’action et la coopération.
— Résumé généré par l’IA.