Moi, toi, lui : les trois instances du soi.
Moi, toi, lui... Trois instances du soi bien connues des pédagogues mais aussi des chercheurs en psychologie sociale. Qu’est-ce que le soi selon eux ? C’est un ensemble de caractéristiques individuelles qui font qu’une personne est différente des autres ou qu’elle leur est semblable. Peut-on confondre le soi avec l’identité, avec la personnalité ? Ou le soi est-il en fait la représentation que l’on se fait justement de soi ?
Les psychologues sont en tous cas d’accord sur trois dimensions à prêter au soi :
– le concept de soi qui est l’ensemble des croyances qu’un individu entretient à propos de lui-même,
– l’estime de soi qui est l’évaluation qu’un individu réalise de ses caractéritiques propres et
– la présentation de soi qui est l’ensemble des comportements adoptés par un individu pour communiquer aux autres une certaine image de lui.
Profitons de ce que la métacognition est à la mode pour nous intéresser aux sources de la connaissance de soi.
« Je suis comme on dit que je suis » disait déjà Cooley en 1902 : l’individu construit effectivement une image de lui-même à partir de celles que lui renvoie autrui. Cette image induit donc aussi des comportements prévisibles. Miller (1975) a ainsi montré que la poubelle est beaucoup plus souvent utilisée dans les classes où il a été dit publiquement que les élèves sont propres que dans celles où il a leur a été demandé d’être propres. Plus incroyable : des tests de mathématiques réputés difficiles ont été organisé dans des salles d’examen. Dans certaines salles, on annonçait vouloir prouver la supériorité notoire des hommes sur les femmes en mathématiques. Dans d’autre pas. Le croirez-vous ? Dans les salles où la supériorité avait été décrétée, les résultats des femmes ont été 3 fois moins bons que ceux des hommes. Dans les autres salles, il n’y avait aucune différence sensible entre les résultats des femmes et ceux des hommes (Spencer et Steele, 1996).
L’influence de l’image sociale peut aussi modifier le jugement que nous posons sur les autres : rappelons l’expérience de Rosenthal qui est parvenu à faire progresser le quotient intellectuel de certains élèves de 30 points en un an en faisant croire aux instituteurs qu’ils s’agissait d’individus particulièrement intelligents. Cette construction du soi est d’autant plus subjective que l’individu a toujours tendance à accorder plus de crédit à l’image renvoyée par un proche, par un ami, pas son conjoint. Dans ce dernier cas, la corrélation entre l’image qu’il a de lui et l’image renvoyée par son conjoint est presque parfaite. Voilà pourquoi l’on dit, non sans raison, que ce sont les femmes des grands personnages de l’Histoire qui ont gouverné le Monde !
L’individu déduit parfois aussi certains traits de sa personnalité de l’observation de ses comportements. Ainsi, Darryl Bem (1972) montre que nos facultés d’introspection étant limitées et subjectives, notre conscience de soi est limitée et nous recourons à la « rétrospection », à une reconstruction mentale a posteriori fondée sur l’observation de nos comportements. Une preuve ? La voici : Wells et Petty (1980) demandent à des gens d’écouter un discours sur la qualité d’un produit. On prie le premier groupe d’auditeurs de hocher la tête de bas en haut (comme quand on dit oui, donc) pendant toute la durée de l’audition et le second groupe de hocher la tête horizontalement (comme quand on dit non). Devinez quel groupe a accordé la plus grande valeur marchande au produit ?
Retenons de ces expériences et de ces théories que les sources de la connaissance de soi peuvent être
– le miroir social, capapable de nous faire réaliser des prophéties (« ces élèves deviendront très intelligents ») ou de nous faire intérioriser des stéréotypes (« les femmes sont moins bonnes en maths »),
– les constructions subjectives (« je suis ce que je crois qu’on pense de moi ») et intersubjectives (« je suis ce que je pense que l’autre pense de moi et vice-versa ») et
– l’auto-observation (« je suis tel que j’agis »).
L’enseignant, meilleur pédagogue que les autres, est donc celui qui croit dur comme fer dans les capacités de ses apprenants et qui leur fait croire dur comme fer en leurs capacités.
C’est celui qui combat les stéréotypes qui peuvent freiner l’apprentissage comme, par exemple, les croyances liées à des particularités cognitives (dyslexie) ou sociales (milieu socioculturel moins « favorisé »).
C’est enfin celui qui est conscient du fait que poser un jugement sur les actes est certes préférable à l’exercice d’une critique sur l’auteur de ces actes, mais que la condamnation de seuls actes peut malgré tout conduire leur auteur à se sentir lui-même condamné. Deux activités sont à bannir définitivement des pratiques pédagogiques systématiques : la critique gratuite des comportements simplement surprenants – et souvent explicables ! – et la condamnation, par qui que ce soit, de leurs auteurs.