Philippe Meirieu nous rappelle qu’au moment d’organiser des activités à réaliser en groupe, il faut plus penser aux objectifs à atteindre qu’à la nature de la tâche impartie.
En effet, si l’on veut privilégier le bon accomplissement de la tâche, tout sera naturellement mis en œuvre pour qu’elle soit réalisée par les apprenants les plus compétents du groupe ; par contre, si l’on se concentre sur l’objectif, l’acquisition des compétences visées par tous les membres du groupe, l’efficacité de l’action – la rapidité d’exécution de la tâche, la qualité du résultat, etc. – sera moindre.
Meirieu distingue ainsi cinq objectifs potentiels. Je le cite :
La finalisation : Il n’est pas question ici de donner la priorité à des apprentissages précis et évaluables mais de mettre les élèves en face d’une tâche susceptible de faire comprendre à chacun d’eux l’importance d’effectuer certains apprentissages... qui ne ressortent pas de ce travail d’équipe mais d’un travail individuel ou collectif qui lui sera postérieur. L’objectif est de faire accéder les élèves à un « besoin de savoir » plus qu’à un savoir et c’est sur cet objectif que ce type de travail d’équipe doit être évalué. On ne se préoccupera pas d’abord de la manière dont est réalisée la tâche, on ne se formalisera pas de l’existence d’une « division du travail » au terme de laquelle certains seront plus actifs que d’autres, mais on se souciera d’abord de son caractère mobilisateur, des obstacles qu’elle permet de rencontrer et des « vides » qu’elle permet de découvrir.
La question qui permettra ici d’incarner l’objectif en cours et au terme de la réalisation de la tâche est la suivante : « Sur quelles difficultés le groupe a-t-il buté ? Que convient-il d’apprendre maintenant pour que chacun soit capable d’affronter ces difficultés tout seul ? »
La socialisation : Là encore, l’objectif essentiel n’est pas l’apprentissage entendu au sens cognitif de ce terme. Non que de tels apprentissages ne puissent se produire, mais ils ne sont pas prioritaires : l’essentiel se situe au niveau des attitudes sociales des élèves : il s’agit d’apprendre à organiser un travail en commun, de planifier les étapes de celui-ci, de trouver à chacun une place lui permettant de s’intégrer dans le groupe, de faire preuve de compétences dont il dispose mais qui ne sont pas encore reconnues, de se dégager d’une image négative que les autres ont de lui. Il peut s’agir également de construire un réseau de communication entre des personnes qui ne se connaissent pas ou bien de travailler sur la nécessité de la Loi pour parvenir à des relations sociales où les individus ne se détruisent pas les uns les autres.
La question qui tramera en permanence de tels travaux d’équipes portera donc sur les processus sociaux à l’œuvre qui devront être en permanence interrogés : « Que découvrez-vous sur les conditions nécessaires d’un travail collectif ? Qu’est-ce que chacun peut faire pour améliorer les relations sociales au sein du groupe ou de l’équipe ? »
Le monitorat : Dans ce cas, il s’agit bien de placer les apprentissages scolaires à caractère cognitif au cœur du dispositif. Ici, pourtant, ce n’est pas le maître qui est chargé d’« enseigner », mais un élève qui est placé en position de « moniteur ». Au sens strict du terme, il n’y a pas de travail d’équipe dans la mesure où les interactions sociales sont des relations duelles – comme dans la classe traditionnelle – entre le moniteur et chacun des élèves. Néanmoins la division de la classe en petits groupes peut jouer deux rôles essentiels : utiliser l’hétérogénéité des élèves (souvent vécue comme un handicap) pour introduire des formes de travail différenciées ; permettre aux élèves placés en situation de moniteurs de renforcer leurs acquis en les ordonnant. C’est pourquoi, il est si important que, d’une manière ou d’une autre, ce type de travail en équipes soit instauré et que les élèves placés en situation de moniteurs « tournent » le plus régulièrement possible : « Qui est enseigné doit enseigner », explique Gaston Bachelard. Car, en enseignant, le moniteur est placé en situation de restaurer, par l’interpellation de l’autre, la rationalité de ce qu’il a appris.
La question qui devra être posée ici aux élèves qui participent à ce type de travail est donc la suivante : « Qu’as-tu appris de l’autre ? Soit qu’il t’a expliqué et que tu n’avais pas compris, soit qu’il t’a contraint à expliquer et que tu as pu ainsi véritablement t’approprier ? »
La confrontation : Il s’agit ici d’utiliser l’interaction entre pairs afin de déstabiliser des représentations ou des préjugés. Il s’agit de susciter la contradiction et l’interargumentation afin de permettre à chacun de mettre à l’épreuve ses conceptions et de les argumenter. Le travail en équipe est ici le moyen d’opérationnaliser le conflit sociocognitif dont parlent les psychologues : chacun étant mis en demeure de justifier son point de vue et étant soumis à la critique d’autrui, il y a construction progressive d’une relation objectale par dissociation de ce qui n’appartient qu’à l’univers subjectif d’un sujet et de ce qui est peut être un « objet commun » construit dans l’expérience de l’intersubjectivité. Il est bien évident que, dans cette procédure, l’enseignant doit être particulièrement vigilant afin de ne pas laisser jouer massivement les relations de captation, de fascination ou de domination qui pourraient se substituer à la construction de la relation objectale et renvoyer un élève de son imaginaire à l’imaginaire de l’autre.
Les questions susceptibles de réguler ce type de travail sont donc : « Sur quelles conceptions chacun a-t-il changé d’avis ? Pourquoi ? As-tu été vraiment convaincu ? Comment ? Pourrais-tu convaincre quelqu’un, à ton tour de ce que tu as découvert ? »
À nous d’appliquer ces distinctions au moment de planifier nos cours de langues et pendant leur déroulement.
MEIRIEU, Ph. (2005), Pourquoi le travail en groupe des élèves ? , http://www.meirieu.com/ARTICLES/pourqoiletdgde.pdf