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Faire apprendre vaut mieux qu’enseigner

Voici un texte, déjà fort vieux, qui peut pourtant faire réfléchir. Il est de Carl Rogers, psychologue humaniste américain, inspirateur de la pédagogie non-directive.

Je n’ai aucunement la prétention de tirer des conclusions qui seraient valables pour quelqu’un d’autre, ni de proposer un modèle de ce que d’autres devraient faire. Il ne s’agit que des conclusions purement provisoires que je tire aujourd’hui, en avril 1952, de mon expérience passée. J’y ajouterai quelques-unes des embarrassantes questions que soulève l’absurdité de mes conclusions.

a) Étant donné l’objectif de ce séminaire, je puis aussi bien commencer par celle-ci. Mon expérience m’a montré que je ne puis pas enseigner à quelqu’un d’autre comment enseigner. Et d’essayer m’a finalement toujours paru vain.

b) Il me semble que tout ce qui peut être enseigné à quelqu’un est relativement peu important et n’exerce guère ou pas du tout d’influence significative sur son comportement. Cette idée me paraît si ridicule que je ne puis m’empêcher de la remettre en question au moment même où je l’énonce.

c) Je m’aperçois de plus en plus clairement que je ne m’intéresse qu’à des apprentissages qui exercent une réelle influence sur le comportement. Mais il est bien possible qu’il ne s’agisse là que d’un trait personnel.

d) J’ai finalement l’impression que le seul apprentissage qui influence réellement le comportement d’un individu est celui qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie.

e) Cet apprentissage découvert par l’individu lui-même, cette vérité qu’il s’est appropriée et qu’il a assimilée au cours d’une expérience vécue ne peut être communiquée directement à autrui. Dès que quelqu’un essaie de communiquer directement ce genre d’expérience, même avec un enthousiasme sincère, cela devient un enseignement et les résultats en sont vains. J’ai été soulagé récemment en découvrant que le philosophe danois Soren Kierkegaard avait tiré de son expérience la même conclusion, conclusion qu’il avait exprimée clairement il y a un siècle. Mon idée m’a ainsi paru moins absurde.

f) Je m’aperçois, en conséquence de ce qui précède, que je ne trouve plus aucun intérêt à être enseignant. Lorsque j’essaie d’enseigner, comme il m’arrive parfois, je suis consterné par les résultats – lesquels sont à peine plus qu’insignifiants – parce que parfois l’enseignement semble atteindre son but. Lorsque tel est le cas, je constate que les résultats sont préjudiciables. Il me semble que la personne a moins confiance en sa propre expérience et qu’un apprentissage valable en est retardé. J’ai fini par considérer que les résultats de l’enseignement sont ou insignifiants ou nuisibles.

g) Quand je fais un retour en arrière pour examiner les résultats de mon enseignement, ma conclusion est identique : ou bien mon enseignement a fait du mal ou il n’a rien produit qui en vaille la peine. C’est franchement troublant.

h) En conséquence de tout ceci, je m’aperçois que je ne m’intéresse qu’à apprendre moi-même et de préférence des choses importantes qui exercent une influence réelle sur mon comportement personnel.

i) Je retire beaucoup de profit à apprendre, que ce soit en groupe, en relation individuelle – comme c’est le cas en thérapie – ou tout seul.

j) Je constate qu’une des meilleures façons pour moi d’apprendre, bien que ce soit la plus difficile, consiste à abandonner mon attitude défensive, au moins provisoirement, pour essayer de comprendre comment l’autre personne conçoit et éprouve sa propre expérience.

k) Une autre façon d’apprendre est, pour moi, d’exprimer mes incertitudes, d’essayer de clarifier mes problèmes, pour ainsi me rapprocher de la signification réelle que semble avoir mon expérience.

… Pour en revenir à une note plus pratique, j’ajouterai que ces interprétations de mon expérience, si elles peuvent paraître étranges, voire aberrantes, n’ont rien en soi de particulièrement choquant. Ce n’est que lorsque je me rends compte de leurs conséquences que je frémis de voir combien je me suis éloigné des positions de bon sens dont tout le monde reconnaît le bien fondé. Je ne puis mieux illustrer ceci qu’en disant que si d’autres que moi avaient eu la même expérience et y avaient découvert les mêmes indications, il en découlerait pas mal de conséquences :

1) Cette expérience impliquerait qu’il faudrait renoncer à enseigner. Ceux qui désireraient apprendre se réuniraient pour le faire.

2) Il faudrait renoncer aux examens, puisque ceux-ci ne peuvent mesurer que le type d’apprentissage que nous avons trouvé vain.

3) Il faudrait renoncer, pour la même raison, aux notes et aux points.

4) En partie pour la même raison, il faudrait renoncer aux diplômes en tant que preuves de compétence. Une autre raison en est qu’un diplôme marque la fin ou la conclusion de quelque chose, alors que celui qui veut apprendre ne s’intéresse qu’à un processus continu d’apprentissage.

5) Il faudrait renoncer à faire part de ses conclusions. Personne, en effet, n’apprend valablement à partir de conclusions.

Carl ROGERS, 1971. Liberté pour apprendre. Paris : Dunod.

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Notre mission d’enseignant n’est-elle pas finalement celle de faire apprendre au lieu d’enseigner ?

Olivier Reboul (Qu’est-ce qu’apprendre ? PUF, Coll. L’éducateur, 1991) est catégorique : « Apprendre n’est pas enseigner ». Le simple fait qu’on puisse apprendre en autodidacte prouve que l’apprentissage n’est pas la face cachée de l’enseignement. Mais si l’apprentissage se distingue radicalement et sur plus d’un point de l’enseignement, la finalité de ces deux activités reste une : l’apprentissage par l’élève.

Reboul pense que la qualité d’un enseignement est soumise à six conditions :

1) l’existence d’une intention consciente de faire apprendre et de faire apprendre quelque chose de plus que de simples savoirs.

2) l’existence d’un cadre institutionnel : lois, écoles, diplômes, etc.

3) l’assimilation de l’enseignement à un bien culturel, à un moyen qui permet la construction d’une culture citoyenne.

4) la conscience de ce que l’enseignement est une activité à long terme : il faut du temps pour apprendre.

5) l’existence d’enseignants compétents aux plans des contenus enseignés et des façons d’enseigner.

6) la mise en place d’une formation de l’esprit critique : faire apprendre ne signifie pas faire croire.


Professionnel de l’enseignement supérieur avec plus de 35 ans d’expérience en linguistique, expert en méthodologie d’enseignement des langues et évaluation des compétences. …

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