L’article qui suit est une version allégée d’un long texte très intéressant – et bien heureusement libre de droits – publié sur le site http://www.educnet.education.fr/. Après l’avoir lu, tâchons de situer notre action pédagogique sur le célèbre triangle de Jean Houssaye.
Le « triangle pédagogique »
Dans son modèle de compréhension pédagogique [2], Jean Houssaye définit tout acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’étudiant, le savoir.
– Derrière le savoir se cache le contenu de la formation : la matière, le programme à enseigner.
– L’enseignant est celui qui a quelques enjambées d’avance sur celui qui apprend et qui transmet ou fait apprendre le savoir.
– Quant à l’étudiant, il acquiert le savoir grâce à une situation pédagogique, mais ce savoir peut être aussi du savoir-faire, du savoir-être, du savoir agir, du faire savoir…
Les côtés du triangle sont les relations nécessaires à cet acte pédagogique :
– la relation didactique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec le savoir et qui lui permet d’ENSEIGNER,
– la relation pédagogique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec l’étudiant et qui permet le processus FORMER, enfin
– la relation d’apprentissage est le rapport que l’élève va construire avec le savoir dans sa démarche pour APPRENDRE.
Jean Houssaye fait remarquer qu’en règle générale, toute situation pédagogique privilégie la relation de deux éléments sur trois du triangle pédagogique. Alors, le troisième fait le fou ou le mort.
– Prenons le cas de l’enseignement traditionnel, il privilégie le savoir ou programme et le corps professoral avec ses charges de travail à respecter, les élèves ne sont pas entendus et font alors le chahut ou dorment.
– De même dans l’enseignement non-directif, la relation pédagogique est primordiale et le savoir est soit inexistant soit réinventé.
– Enfin dans la FOAD et les TICE, les enseignants ont peur d’être exclus/inutiles ou surchargés de travail pour les ressources pédagogiques, car c’est la relation savoir-étudiant, APPRENDRE qui est privilégiée.
La principale critique faite à ce modèle porte sur la non-contextualisation de l’acte pédagogique dans une époque, une culture… En effet, cet acte pédagogique se passe à un moment historique et géographique, dans un environnement humain, politique, et social qui explicite le processus ÉDUQUER.
« Enseigner », « apprendre », « former », « éduquer » ne sont pas que des mots différents signifiant des facettes d’une même réalité ; au contraire, ils traduisent autant de postures pédagogiques possibles selon que l’on privilégie un sommet ou une relation entre deux sommets. Ces postures reflètent souvent des positions idéologiques et des systèmes de valeur différents qui préexistent à l’utilisation des technologies.
Voici les 5 postures que nous avons pu distinguer et que nous vous explicitons avec une phrase-clé, une description, et un tableau des responsabilités entre l’enseignant, l’étudiant et la technologie :
LA POSTURE « SAVOIR »
« Pour moi, l’important c’est le savoir. Produire le savoir est la raison d’être essentielle de l’université et du travail d’enseignant-chercheur. »
L’enseignant est un chercheur dans un domaine bien spécifique. Il fait évoluer le savoir, publie, et fait des conférences sur ses sujets d’excellence. L’objet central de l’enseignant est sa matière et en aucun cas l’étudiant. Le savoir se transmet pour lui-même et peut être « déversé » à la demande de façon très classique : publications, livres, conférences, congrès, etc. ou de façon plus novatrice avec les nouvelles technologies : conférences enregistrées et retransmises sur Internet, publications en hypertexte sur Internet. Le sommet privilégié est le SAVOIR.
Que fait l’enseignant ?
À partir d’informations existantes sur un sujet et de ses propres recherches, l’enseignant-chercheur produit du savoir et le met en forme, essentiellement sous forme écrite. Il « expose » ce savoir de manière orale et pas ou peu interactive.
Que fait l’étudiant ?
Il prend des notes, il enregistre, il imprime, il apprend par cœur… et il est capable de restituer ce qu’il a lu. Ses sources sont celles de l’enseignant, mais il peut les compléter par des ouvrages de la bibliothèque.
LA POSTURE « ENSEIGNER »
« L’important, c’est de transmettre le savoir à des étudiants. La mission de l’Université, c’est de diffuser le savoir, de le proposer au plus grand nombre, et de valider par un diplôme. »
L’enseignant est un expert, détenteur d’un savoir (contenu de formation) qu’il transmet d’une manière didactique. Le côté privilégié du triangle pédagogique est le côté enseignant-savoir. Le rôle de l’enseignant est aussi important avant son intervention dans sa préparation de cours que pendant celle-ci. Afin de lui permettre de captiver son auditoire et de faire passer le contenu de sa connaissance, il doit avoir préparé en amont son cours rigoureusement : décomposer, restructurer, illustrer, approfondir certains points. L’aisance adaptative naît en effet de la qualité des préparations ; ce sont elles qui permettent ensuite de déployer une prestation de grande qualité.
L’étudiant reçoit le contenu de formation que l’enseignant lui propose, de manière construite et pensée. Il y a peu d’échanges entre eux. Son apprentissage s’effectue lors de l’écoute et de sa prise de notes et aussi après le cours, par différents moyens : relecture de ses notes, discussion avec ses pairs, recherche d’informations complémentaires, réalisation d’exercices ou de cas pratiques… Les TICE permettent de stocker en numérique ces périodes de transmission de savoir : enregistrement sonore, audio-visuel, retranscription écrite… qui peuvent permettre de revoir et diffuser ces prestations, permettant l’enseignement d’un grand nombre.
Que fait l’enseignant ?
Il conçoit des supports didactiques (transposition du savoir en objet d’enseignement), rédige des polycopiés, crée des exercices et des évaluations. En face à face, il « pioche » au fur et à mesure de son cours les supports utiles à son enseignement.
Que fait l’étudiant ?
Il récupère les cours (polycopiés), il s’entraîne à faire des exercices, et des corrections. Il écoute, prend des notes, enregistre, imprime, il apprend par cœur… Il utilise les ressources mises à sa disposition.
LA POSTURE « FORMER »
« L’important, c’est de construire une relation d’échange et de débattre autour des concepts et des courants d’idées scientifiques, afin que chacun construise son opinion, ses valeurs. La mission de l’Université, c’est de former des citoyens, apte à argumenter leurs opinions dans les règles de la démocratie en se référant à des corpus de savoirs constitués ou des écoles de pensées. »
L’enseignant est un animateur qui a l’art et la manière de faire échanger les étudiants par exemple sur des études de cas, des mises en situation, des textes, des problèmes…etc pour leur apprendre à chercher, s’exprimer et prendre position sur des contenus de formation.. L’étudiant, par ses échanges dans des situations élaborées par l’enseignant, va découvrir, organiser des connaissances et prendre position. L’enseignant va l’aider à mobiliser ses anciennes connaissances et à structurer ses nouvelles connaissances soit par la maïeutique soit par des débats. L4enseignant va privilégier les échanges et les explications des étudiants, plutôt que son discours et va suivre l’étudiant dans sa formation. Les TICE vont permettre de fournir de nouveaux outils d’échanges distants avec l’enseignant : mél par exemple ou avec des groupes : outil de travail collaboratif, liste de discussion
Que fait l’enseignant ?
Il communique avec tous les moyens (papier, téléphonique, électronique…), il peut envoyer des informations vers les étudiants (push) ou en demander (pull). Il construit une relation pédagogique forte avec ses élèves : animation, accompagnement, médiation. Il peut être à distance dans ce cas il peut être appelé tuteur ou accompagnateur-relais…
Que fait l’étudiant ?
Il échange avec l’enseignant ou son tuteur et avec ses camarades des idées, des productions… Il va utiliser les listes de diffusions, forums, Faq, téléphone etc. et échange avec les autres.
LA POSTURE « APPRENDRE »
« L’important, c’est que les étudiants puissent être en contact avec les sources du savoir, pour construire leurs connaissances le plus efficacement possible, en expérimentant, de manière à ce qu’ils puissent les mettre en pratique ultérieurement. La mission de l’Université, c’est de fournir à la société des hommes qui ont de la méthodologie et du savoir faire, ancrés sur des savoirs théoriques. »
L’enseignant joue la place du mort durant l’acte pédagogique, mais il a préparé avant des situations d’apprentissages permettant de découvrir ou mettre en application des connaissances : études de cas, situations-problèmes, mises en situations… ; l’étudiant apprend de lui-même en essayant et expérimentant grâce aux ressources mises à sa disposition. Il est souvent dans l’auto-apprentissage non dirigé mais peut être aussi en travail de groupe créatif. Souvent l’enseignant a fourni une méthodologie de travail ou des consignes pour formaliser le travail. Les TICE permettent d’offrir aux étudiants des outils de simulation, des jeux, des situations d’apprentissages riches et surtout les moyens de formaliser leurs nouveaux savoirs.
Que fait l’enseignant ?
Pour permettre à l’étudiant de mettre en pratique des savoirs théoriques, l’enseignant élabore des scénarii pédagogiques, construit et propose des études de cas, et des outils pour « penser avec » (simulation, jeux…), des activités pédagogiques dans lesquelles l’étudiant est acteur. Il accompagne l’étudiant dans sa démarche intellectuelle qui se construit dans l’alternance entre mise en situation et prise de recul.
Que fait l’étudiant ?
Il essaie, il expérimente, il construit les liens cognitifs, il formalise… ce qu’il pense avant, pendant et après l’usage des ressources mise à sa disposition. L’étudiant peut apprendre avec les technologies, en utilisant des simulations, des jeux, des études de cas… Il peut faire des liens entre des sources d’informations multiples et s’organiser entre ses différentes activités en restant en contact avec les acteurs de ses apprentissages. Il va utiliser les listes de diffusions, forums, Faq, échange avec les autres… Les ressources, médiatisées ou non, sont disponibles mais sans guide. L’étudiant va librement piocher dedans et construire ses connaissances et compétences. Il peut également faire appel aux autres, à un ou plusieurs tuteurs. C’est lui qui doit les solliciter et non l’inverse.
LA POSTURE « ÉDUQUER »
« L’important, c’est que l’étudiant puisse utiliser avec profit les ressources de son environnement, exprimer ses besoins et devenir autonome dans son approche des savoirs. Il doit savoir s’autoévaluer, gérer ses compétences et se former "tout au long de la vie" . Il doit être capable de travailler avec d’autres, avec des moyens variés et nouveaux, il sait changer, évoluer. »
L’enseignant est un accompagnateur à apprendre une posture dans le travail adapté aux besoins de la société, mais avec du sens pour l’étudiant. Un environnement riche d’apprentissage est, en général, offert aux étudiants dans lequel ils peuvent puiser des ressources, dialoguer, et construire du savoir. Dans le dispositif de formation qu’il a construit pour l’étudiant, il y a des alternances entre lieu de travail ou de stage et université. L’étudiant doit être capable de chercher de l’information pour la transformer en connaissances, d’estimer la pertinence et la valeur des informations dont il dispose, mais il doit aussi savoir s’il sait, ce qu’il aimerait savoir. Enfin il doit être en mesure de travailler seul ou de coopérer avec d’autres de façon performante et responsable pour produire de nouveaux savoirs. Les TICE, en offrant les outils de travail de la société, dans les lieux de formation vont être un outil efficace.
Que fait l’enseignant ?
Il organise des environnements d’apprentissage, soit physique (centre de ressources multimédia), soit numérique et met en scène un espace de formation sur ses thèmes d’excellence. Il apprend à apprendre à l’étudiant.
Que fait l’étudiant ?
Il est acteur de sa formation et utilise les moyens et méthodes proposés. Il ose et est accompagné pour produire des savoirs. Il s’auto-évalue, gère son portefeuille de compétences et utilise tous les outils de communication nécessaires au travail pour se former.
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[1] Cf. Houssaye J., Le triangle pédagogique, Berne, Peter Lang, 1988.
[2] Cf. Houssaye J., Le triangle pédagogique, Berne, Peter Lang, 1988.