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Pour une meilleure appropriation de la grammaire

Il est toujours intéressant, pour mieux comprendre comment enseigner ou faire apprendre quelque notion linguistique de savoir comment les apprenants fonctionnent au plan neurolinguistique. Ainsi, depuis une vingtaine d’années au moins, les spécialistes repèrent dans le traitement des informations par le cerveau humain le recours à des catégories lexicales et grammaticales qui ne sont pas toujours celles qui sont mises à l’avant-scène dans les ouvrages didactiques. À côté des catégories du verbe ou de l’inanimé, on trouve par exemple celles des « objets domestiques » et des « grands objets ». En témoignent les extraits qui suivent d’un texte rédigé par Gérald Messadié et publié dans Science & Vie no 915.

Jeannette Dutcher, 51 ans, citoyenne de Baltimore, bibliothécaire de son métier, est récemment passée dans l’histoire médicale. Si on lui demande de raconter par écrit ce qu’elle a vu la veille à la télévision, cela donne ceci : « J’ai regardé les débats présidentiels. Le président Bush semblait figé. Le gouverneur Clinton [un vide] à propos de l’économie. » Mme Dutcher sait bien qu’il manque un verbe à sa phrase, mais elle ne parvient pas à l’énoncer par écrit. Alors qu’elle parle normalement, elle éprouve une difficulté spécifique qui est de coucher les verbes par écrit. Pas tous d’ailleurs, quelques-uns seulement. Et cela depuis que Mme Dutcher a souffert d’une attaque, il y a huit ans.

Dans la douzaine de cas qui sont également passés dans les annales médicales, il y a celui de Mme WH. qui, elle, présente le problème inverse : c’est le traitement parlé des verbes qu’elle ne maîtrise plus, également depuis une attaque. La défaillance de Mme H. est étonnante parce qu’elle n’éprouve de difficulté à prononcer certains mots que lorsqu’ils ont la fonction de verbe. Exemple : Si on lui demande de lire à haute voix la phrase suivante : « Don’t crack the nuts here » (« Ne cassez pas les noix ici »), elle bute sur le mot « crack ». En revanche, si on lui demande de lire la phrase « There’s a crack in the mirror » (« II y a une fêlure dans le miroir »), elle n’éprouve aucune peine à le faire. Le mot ne cause de difficulté que lorsqu’il se présente dans la phrase sous sa fonction de verbe. Cela indique donc que les structures logiques du langage sont demeurées intactes chez Mme H. Il y a toujours chez elle, en effet, reconnaissance d’un mot dans sa fonction de verbe. C’est simplement le traitement parlé des verbes qui est endommagé.

Un troisième cas est tout aussi fascinant : c’est celui d’une personne qui ne peut pas nommer des êtres vivants, animaux, plantes, mais seulement des objets inanimés.

Un quatrième cas se caractérise par l’incapacité de prononcer les mots
désignant de grands objets– auto, avion, camion, etc. – qui sont à l’extérieur de la maison ; un cinquième, à l’inverse, les noms des objets domestiques – chaise, lampe, etc.

C’est d’ailleurs grâce à l’étude d’aphasiques que, depuis longtemps, progresse la connaissance du cerveau et de l’élaboration de ce qui, pour le moment, distingue l’homme de l’animal : le langage. La douzaine de cas de troubles cérébraux cités plus haut a tout récemment ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire déjà longue de la neurophysiologie. Elle indique à l’évidence que, dans le premier cas, un centre de traitement écrit des verbes a été endommagé, que, dans le deuxième, c’est un centre de traitement parlé et, dans le troisième et le quatrième, un centre de traitement de certains mots. Cela donne fortement à penser qu’il existe dans le cerveau des centres encore plus hautement spécialisés qu’on l’avait cru dans le traitement des mots et des structures grammaticales.


Tout se passe comme si le cerveau classait les mots par catégories, comme le chiffonnier qui trie les déchets, chacune de celles-ci étant stockée dans une région spécifique, ou module. Il stockerait dans tel module les mots désignant des objets usuels, dans tel ou tel autre les mots abstraits, les noms propres, les objets vivants, etc. De plus, les mots seraient stockés selon qu’ils sont parlés ou écrits. Enfin, et la découverte est aussi importante que la précédente, il y a une reconnaissance automatique de la fonction grammaticale du mot. À l’évidence, les mots ne sont pas seulement stockés par leur forme, ni par leur son, et leurs souvenirs ne sont pas automatiquement mobilisables d’après ces dernières caractéristiques, comme en témoigne le cas de la femme qui ne peut prononcer « crack » que si c’est un nom et non un verbe.

L’utilisation du langage n’est donc pas, comme on s’en doutait d’ailleurs, un assemblage passif d’éléments séparés, comme ceux d’un puzzle ; c’est une interprétation active qui permet, par exemple, de deviner le sens d’un mot qu’on entend pour la première fois, cela grâce à un système d’interprétation à la fois grammatical et logique.

La compréhension du langage impose donc une succession d’opérations logico-grammaticales qui permettent de saisir la portée des informations et leurs implications éventuelles. La réalité de ces opérations logico-grammaticales est encore une fois démontrée dans le cas de la femme qui ne peut prononcer « crack » que si c’est un nom.

Reste à savoir, au-delà des déductions, où se trouvent, anatomiquement parlant, les divers modules, et cela n’est possible que sur un sujet vivant, donc en excluant toute dissection. C’est ce à quoi s’attachent les chercheurs, à l’aide de trois techniques qui permettent de visualiser les régions du cerveau qui sont mises en œuvre dans chacune de ses parties : la tomographie par émission de positrons (TEP), la résonance magnétique nucléaire (RMN) et la résonance magnétique par échoplanar (REP). Les trois techniques permettent d’identifier les régions actives du cerveau par leurs modifications biochimiques.

Ces découvertes ne signifient pas qu’on ignorait tout des centres du langage. On savait déjà, depuis de nombreuses années, que la majorité des centres du langage siègent le long de la scissure de Sylvius, dans l’hémisphère gauche ; que la région de Broca, dans le lobe frontal, en avant de cette scissure, joue un rôle essentiel dans la construction grammaticale et logique (mais apparemment pas dans le chant, car un aphasique de Broca peut chanter très correctement) ; et qu’un centre situé le long de la scissure de Wernicke, dans le lobe temporal gauche, au-dessous de la scissure latérale, lui, déterminant dans la mobilisation des mots corrects (l’aphasique de Wernicke dira, par exemple, « fourchette » au lieu de « couteau »).

Mais on ignorait qu’il y eut des centres aussi spécialisés que ceux qu’on a découverts grâce aux victimes d’attaques, et c’est ceux-là qu’on s’attache aujourd’hui à situer. Mais la localisation est une chose, la compréhension, une autre, et il faudra sans doute bien d’autres recherches pour savoir comment les centres qu’on aura enfin repérés fonctionnent. Savoir monter et démonter un moteur d’auto n’implique pas nécessairement qu’on sache conduire...

L’ouverture de la « boîte noire » permet toutefois déjà de distinguer, parmi les catégories proposées par les grammaires normatives par exemple, celles qui sont effectivement utilisées dans nos processus cognitifs de celles qui sont de pures « inventions d’instituteurs » en mal d’inspiration pour expliquer certains fonctionnements.

La multiplication des activités de communication socialement contextualisées et un recours moins systématique aux grammaires normatives devrait donc aider les apprenants à construire une vision de la langue intégrée à leurs schèmes intellectuels et à exprimer cette vision dans des termes qui leur appartiennent.


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